Le Salon d’Automne est une association d’artistes, sans but lucratif, née en 1903, reconnue d’utilité publique depuis 1920, dont le but est l’encouragement et le développement des beaux-arts dans toutes ses manifestations et particulièrement par des expositions tant en France qu’à l’étranger.

Il organise à Paris une grande réunion annuelle de prestige, qui met en avant plusieurs centaines d’œuvres d’art dans toutes les disciplines. L’Œuvre au Noir, Satan Spirite est l’œuvre de l’artiste française Vinca Migot qui a été sélectionnée par ce Salon pour son exposition de 2020 sur les Champs-Élysées (Paris). Il s’agit d’une œuvre sur papier de 100 x 130 cm qui utilise crayons, encres et pastels et qui dévoile une démarche transversale et de réunification à la fois.

La structure labyrinthique de l’œuvre

Sur le plan de la réalisation, on observe des scènes fractionnées, mais qui forment un tout et qui racontent une histoire, un peu à la façon d’un storyboard. On comprend que la difficulté recherchée dans le travail plastique est de créer une vision à la fois morcelée et globale. L’œuvre encourage subrepticement le spectateur à s’égarer et à perdre l’œil comme l’esprit dans la multiplication de dessins autonomes pour mieux les ramener, de manière presque subliminale et par des tracés labyrinthiques, à l’essentiel, à la clef d’une énigme. Chacune de ces scènes est occupée par un personnage noir et ailé : si l’on suppose qu’il s’agit du Satan du titre du dessin, on ignore cependant s’il s’agit d’une chronologie ou d’histoires se déroulant simultanément en parallèle.

L’œuvre est immersive, presque en mouvement en raison des nombreuses imbrications de cercles. On se sent absorbé dans ce tournoiement d’images qui esquisse un visage de brume au regard insondable. Le spectateur observe cette ombre qui l’observe en retour ; et de cette mise en abyme de l’abîme naît un malaise, une fascination. Impossible de s’en défaire — le charme est-il en train d’opérer ? En effet, ce visage, qui est celui de la lune, s’anime ; ses lèvres nébuleuses s’ouvrent comme pour laisser passer un message, une parole, un sortilège. On finit par tendre l’oreille, et l’œuvre en deux dimensions transcende alors son cadre pour s’emparer de son spectateur.

Les inspirations mystiques de l’œuvre au noir, Satan spirite

Le sujet peut étonner, de prime abord, Satan, anciennement dénommé Lucifer, ange déchu, étant une figure très fermement décriée par l’Église chrétienne. Pourtant, on devine que ce n’est pas en tant qu’esprit du mal que Satan est mobilisé ici. Lorsqu’on l’interroge sur ses inspirations pour cette œuvre, Vinca Migot mentionne « l’aspiration humaine à lever les voiles des mystères », un des plus grands étant celui de la mort, à la croisée des mythes, légendes et de la science, de l’inconscient et des notions d’espace-temps, beaucoup de thèmes qui lui sont chers et que l’on retrouve fréquemment dans sa peinture. Ici, l’artiste cherche donc à matérialiser, dans cet échange de regard engagé entre la lune personnifiée et le spectateur, une investigation du monde invisible.

L’inspiration alchimique

Cette idée de recherche apparaît à deux niveaux, dont le premier est l’alchimie avec l’« œuvre au noir ». On rappelle, pour les non-initiés, qu’il s’agit là de la première étape du Grand Œuvre, qui est, en alchimie, la fabrication de la pierre philosophale à partir de matériaux vils comme le plomb et le fer. Il est donc question d’une recherche de transmutation, à la fois chimique et essentielle. L’œuvre au noir, nommée mélanosis en grec ou bien nigredo en latin, consiste en la putréfaction d’une matière première jusqu’à ce que celle-ci deviennent blanche et sèche, laissant alors place à la deuxième étape du Grand œuvre, l’œuvre au blanc. Allégoriquement, elle symbolise donc la résurrection, inhérente à la mort. C’est pour cette raison qu’on trouve souvent chez les alchimistes la devise suivante : « obscurum per obscurius, ignotum per ignotius », ce qui peut être traduit par « l’obscur par le plus obscur, l’inconnu par le plus inconnu ».

L’artiste joue de ces transmutations de matière et de ces étapes alchimiques dans la composition de son œuvre : le rectangle noir qui encadre les scènes fractionnées est parcouru de volutes blanches, illustrant la transformation d’un état à un autre. Plus qu’un enchantement, c’est donc l’alchimie qui est en cours d’opération. La lune, avec toutes ses aspérités, rejoue cette symbolique de la mort et de la résurrection puisqu’après la nuit vient le jour. Elle cristallise en son sein les rites sacrés, les cultes à mystères et les expérimentations surnaturelles.

L’inspiration spirite

À cet univers alchimique s’ajoute la dimension spirituelle ou plus précisément « spirite », car le spiritisme aussi est une recherche, celle d’une vie après la mort. Particulièrement prisée au XIXe siècle, cette philosophie consolatrice explore, au travers d’un nouveau médium, les tables tournantes, le monde de l’au-delà. Les adeptes, rassemblés autour de ces tables rondes, guettent les voix d’outre-tombe qui se manifestent au travers de langages codés, frappés. Les mains apposées autour de guéridons, ils communient entre vivants pour mieux entendre les morts. Le motif du cercle, répété et imbriqué à plusieurs niveaux dans ce dessin, jusqu’au visage ébauché de la lune, tout comme les empreintes de mains symbolisent ainsi explicitement la valse des tables, tables que firent d’ailleurs tourner les plus grands artistes et adorateurs de la lune du siècle Romantique, à l’instar de Victor Hugo.

Les inspirations artistiques de L’œuvre au noir, Satan spirite

Car L’Œuvre au noir, Satan spirite est aussi un vibrant et évident hommage à deux auteurs ; à Marguerite Yourcenar, d’une part, et à son roman L’Œuvre au noir (1968), qui raconte la vie (fictive) d’un humaniste de la Renaissance, Zénon. Cet homme, dont l’existence est faite en grande partie d’errances, est porté par sa quête de vérité, par ses recherches constantes, insatiables, lesquelles le conduisent à la mort. Plusieurs scènes fractionnées du dessin représentent cette errance de l’homme au travers de celle de Satan, que l’on voit avancer une lanterne à la main. Il faut noter les courbes sinueuses qui évoquent les chemins, et les rainures qui dessinent d’infinis escaliers. L’œuvre met en place un parcours initiatique où chaque étape est accompagnée par un gardien. Un œil attentif remarquera de fait les silhouettes qui se promènent dans le dessin et qui transparaissent par moment, selon où se porte notre attention. Ces ombres vaporeuses, aux vêtements amples et aux longues chevelures, sont-elles des anges ou des fantômes ? L’artiste, lorsqu’on sollicite son point de vue, ne tranche pas et laisse la porte ouverte aux croyances de chacun.

Ensuite, Vinca Migot rend hommage à Victor Hugo lui-même, ce héraut du spiritisme, qui a surtout pour mérite de réhabiliter la figure de l’ange déchu dans son épopée, superbe, quoiqu’inachevée, La Fin de Satan. Satan y perd sa nature diabolique, s’aventure au-delà de la frontière du bien et du mal, et touche au mystère de l’Invisible. En haut de l’œuvre, on voit le cercle lunaire se dissiper, s’ouvrir, et Satan déployer ses ailes ; c’est une invitation à sortir de l’errance et du tourment de l’incertitude et du questionnement, à sortir des illusions et à accepter l’inconnu. Aussi ce regard énigmatique de la lune, qui toise le spectateur, n’est-il pas tant inquiétant qu’enveloppant et doux. Vinca Migot, en s’interrogeant sur l’énigme de la mort, d’un point de vue matériel, mystique et initiatique, poursuit, à l’instar de Yourcenar et Hugo, les étapes du Grand Œuvre, en les transposant à la création artistique.

En raison de l’épidémie du Covid, cette exposition est visible en ligne sur le site du Salon d’Automne ; l’œuvre figure dans la section 10 — Dessin, au nom de l’artiste Vinca Migot. N’hésitez pas à parcourir cette exposition virtuelle !

Orval
Chroniqueuse culturelle