Kids in the box, Nightmare

Les pays et leurs légendes, les sociétés et leurs représentations, les individus et leurs expériences sont autant de sujets dont s’inspire Vinca Migot pour donner vie à son art. Pour autant, elle ne s’arrête pas à cette diversité thématique puisqu’elle pratique également la variation des outils et des supports, notamment avec sa série Kids in the box, qui se décline en format 2D et format 3D.

Création d’un microcosme : à la découverte de vies minuscules

Les œuvres Kids in the box, et plus particulièrement celles en trois dimensions, développent un concept qui fait écho au diorama inventé par Louis Daguerre ; dans l’espace d’une petite boîte, de métal ou de bois, toujours recyclée (ou upcyclée), Vinca Migot dresse des architectures miniatures, des microcosmes, souvent très colorés, où évoluent des enfants et des adolescents. Elle s’était d’ailleurs déjà intéressée à l’articulation microcosme / macrocosme avec son album La Cité. Les scènes contenues dans les boîtes ou les portraits qu’elles renferment sont des représentations minuscules de vie et font penser aux livres pop-up prisés par les enfants, qui font surgir des mondes en papier et carton au gré des pages. On songe également au personnage d’Arrietty et au « petit monde de chapardeurs » inventé par Mary Norton dans sa série romanesque du même nom et repris par les studios Ghibli (2010), ou encore à la petite Poucette, cette petite fille pas plus grande qu’un pouce qui fait l’objet du conte de Hans Andersen (1835). Cependant, les Kids in the box ne sont pas qu’une histoire de taille ; ils sont aussi des représentations de « vies minuscules », selon l’expression de Pierre Michon. Sa littérature hagiographique donne vie aux objets de mémoire, qui témoignent silencieusement d’anecdotes générationnelles. Les objets disséminés dans les boîtes de Vinca Migot sont aussi pourvus d’une âme, passeurs d’une histoire. Les personnages de Pierre Michon sont quant à eux pour la plupart anonymes et leurs histoires parcellaires, en plus d’être anodines. S’ils sont bien loin d’être insignifiants, les destins mis en boîte par Vinca Migot questionnent cependant l’insignifiance qu’on leur impose, la norme à laquelle on les soumet, comme nous le verrons.  Ces vies sont a priori minuscules car appartenant à un âge transitoire, éphémère : l’enfant meurt et laisse place à l’adulte.

Une exploration des thèmes de l’enfance et de l’adolescence

L’écrivain Pierre Michon, dans les Vies minuscules, livre une littérature autotélique qui questionne l’existence d’une langue primordiale : le récit fait de l’enfance un seuil symbolique pour ce langage, à juste titre puisque l’enfant, l’infans en latin, c’est celui qui ne parle pas.  Avec les Kids in the box, Vinca Migot amorce une réflexion similaire sur la place et le pouvoir de la parole, le premier rapport au monde se faisant par les images et les mots. Elle invite le spectateur à replonger dans l’âge de l’innocence, dans la sphère de l’intime juvénile, au travers de thèmes vastes et universels comme l’esprit d’aventure, les premiers amours, l’amitié, etc. On voit réapparaître certains motifs de façon récurrente mais parfois discrète, à l’instar de l’ourson, qui renvoie à l’ours en peluche que chérissent les enfants et qui sert de premier alter amical. Les Kids in the box explorent en quelque sorte la phase d’éveil au monde, dynamisée par l’éternelle question du « Pourquoi ? ». Chaque boîte est l’occasion d’une rencontre, d’une analepse. On trouve également de nombreuses références aux contes, et à leur impact sur les représentations de vie. Cependant, les références sont souvent subverties, dissonantes.

Des boîtes pour combattre l’enfermement

Le concept de boîte permet au spectateur de s’attarder sur l’espace du « dedans », si l’on puit emprunter l’expression d’Henri Michaux, lequel pourtant incarnait « le refus de l’enfermement » selon Maurice Blanchot. Justement, les Kids in the box interrogent cet espace du dedans,  où naissent les rêves, les pensées, les imaginaires, à partir des impressions fugitives du monde, mais aussi les oppressions extérieures, qui viennent conditionner, marteler et polir la jeunesse. Les contes et les schémas archétypaux qui bercent l’enfance sont les premiers facteurs d’enfermement ; l’enfant est invité à suivre des patterns, se laisse conditionné par un imaginaire imposé, rentre dans un âge adulte tout anesthésié. Michaux exprime cette crainte dans son invocation des « Visages de l’enfance » (L’espace du dedans, pp. 305-306) :

Visages de personnalités sacrifiées, des “moi” que la vie, la volonté, l’ambition, le goût de la rectitude et de la cohérence étouffa, tua (…)
Visages de l’enfance, des peurs de l’enfance dont on a perdu plus la trame et l’objet que le souvenir,
Visages qui ne croient pas que tout a été réglé par le passage à l’âge adulte, qui craignent encore l’affreux retour

Les « enfants dans la boîte » exposent le moule auquel on prédispose les nouvelles générations et, symétriquement, la liberté qu’on leur soustrait. Dans le travail de Vinca Migot, on retrouve souvent, parmi de nombreux autres, le motif du code barre, qui incarne ce soulignement du conditionnement, du formatage, encore plus prégnant depuis le début de l’ère du covid.

Un art d'engagement

Les Kids in the box proposent ainsi une véritable expérience réflexive et engagée, selon l’attitude que l’on adopte face aux boîtes :

  • Le spectateur peut rester passif, devant la boîte close. Il passe, littéralement, à côté de sa mémoire, renonce au questionnement, s’adonne à l’enfouissement.
  • A l’inverse, le spectateur peut décider d’ouvrir la boîte et ainsi de s’ouvrir, psychiquement, au souvenir de l’enfance. La boîte est une invitation à faire dialoguer les espaces et les temporalités ; à la mémoire du passé se greffent les espérances du futur, à l’énergie écrasante du monde extérieur et vaste s’ajoute la dynamique pulsionnelle et vitale d’un monde intérieur clos mais profond.

Pour autant, il convient de nuancer la démarche de Vinca Migot ; certaines boîtes sont plus ambiguës, à l’instar de celle de Pandore. Qui connait le mythe devine aisément que se rejoue dans cette boîte le piège de la tentation et peut légitimement s’interroger sur la nécessité de l’ouvrir une nouvelle fois. Plus qu’un art engagé, Vinca Migot procède à un art d’engagement, questionnant le positionnement et la mobilisation du spectateur. Rappelons que l’engagement est le fait de mettre en gage quelque chose, peut-être ici notre éthique.

Orval
Chroniqueuse culturelle